Publié dans « Le Nouvelliste » par Jean-Claude Boyer.
Il en était contre. Farouchement opposé à la peine capitale. Effectivement ce n’était pas qu’une image quand on se réfère à l’étymologie latine : caput, is : tête. Le couperet s’abattait et la tête du pauvre homme, placée sur le billot (une pièce de bois), tombait. C’était horrifiant.
J’ai toujours cru que Camus envisageait de donner une suite à « L’Étranger » pour fustiger la peine de mort, dénoncer une pratique barbare et inhumaine. Effectivement, l’exécution capitale, c’est rendre coup pour coup, œil pour œil, dent pour dent. Le condamné est déjà assez puni par la perpétuité. Comme Camus était l’un des écrivains que se penchaient sur les problèmes que se posent à notre conscience, il n’a pas paru surprenant qu’il fît de l’abolition de la peine capitale son cheval de bataille. Il n’a pas donné suite à « L’Étranger » mais il se rattrapa par un retentissant discours sous le titre : « Réflexions sur la guillotine » que l’anthologiste Pierre de Boisdeffre compare à un réquisitoire.
Dans ce vibrant plaidoyer contre la peine de mort, affichant en cela sa vision, Albert Camus évoqua un douloureux souvenir d’enfance : son père qu’il n’a pas connu était très remonté contre un criminel qui avait été condamné à la potence. Le jour de l’exécution, le père de camus partit au petit matin de la maison avec enthousiasme pour assister à l’événement, disons pire : au spectacle. Il en revint bouleversé, au point de tomber malade. Il vomit puis garda le lit. Qu’est-ce qui s’était passé pour provoquer une telle transformation ? Est-ce la vue des souffrances du condamné ? L’honneur de la scène révulsa le voyeur.
Il n’est pas sans importance de donner à Camus lui-même, avocat de cette grande cause, la parole : « Peu avant la guerre de 1914, un assassin dont le crime était particulièrement révoltant (il avait massacré une famille de fermiers avec leurs enfants), fut condamné à mort en Algérie. Il s’agissait d’un ouvrier agricole qui avait tué dans une sorte de délire du sang, mais avait aggravé son cas en volant ses victimes. L’affaire eut un grand retentissement. On estima généralement que la décapitation était une peine trop douce pour un pareil monstre. »
Le meurtre des enfants, en particulier, avait indigné le père de Camus. Il voulut assister une exécution, pour la première fois de sa vie. « Il se leva dans la nuit pour se rendre sur lieux du supplice, à l’autre bout de la ville, au milieu d’un grand concours de peuple. »
Il ne pipa mot, à son retour, de la scène. « Ma mère raconte seulement qu’il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s’étendit un moment sur le lit et se mit tout d’un coup à vomir. » Que venait-il de découvrir ?
Réponse de Camus : « (…) la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu’à ce corps pantelant qu’on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou ? »
Le pourfendeur de la peine capitale se livre à une déduction : « Il faut croire que cet acte rituel est bien horrible pour arriver à vaincre l’indignation d’un homme simple et droit pour qu’un châtiment qu’il estimait cent fois mérité n’ai eu finalement d’autre effet que de lui retourner le cœur. » Sa conclusion est que « quand la suprême justice donne seulement à vomir à l’honnête homme qu’elle est censée protéger il paraît difficile de soutenir qu’elle est destinée, comme ce devrait être sa fonction, à apporter plus de paix et d’ordre dans la cité. Il éclate au contraire qu’elle n’est pas moins révoltante que le crime et que ce nouveau meurtre, loin de réparer l’offense faite au corps social, ajoute une nouvelle souillure à la première ». Camus lâche le mot : l’exécution du coupable ajoute une nouvelle souillure à celle de son crime.
Le critique Pierre Boisdeffre signale que dans « La Peste », Camus avait relaté la saisissante scène d’une exécution capitale par fusillade qui avait obsédée le jeune Tarou. Boisdeffre trouve que dans ses « Réflexions sur la guillotine » Camus, élargissant un souvenir personnel, devait s’efforcer de justifier en raison cette horreur de la peine de mort, ce qui signifie qu’il n’y a rien de rationnel dans le second meurtre. Tout est émotion, passion et exaltation.
Il faut dire que le plaidoyer de Camus est extrait de « Réflexions sur la peine capitale » d’Arthur Koestler et Albert Camus. L’impossible justification de la peine de mort est la thèse que soutient Albert Camus. Il ne croit pas que l’homme soit, par nature, un animal de société. Il nuance son affirmation en avouant qu’il pense le contraire. « Mais je crois, ce que est très différent, qu’il ne peut vivre désormais en dehors de la société dont les lois sont nécessaires à la survie physique les responsabilités doivent être établies selon une échelle raisonnable et efficace par la société elle-même. » Il nuance une nouvelle fois en disant que la loi trouve sa dernière justification dans le bien qu’elle fait ou ne fait pas à la société d’un lieu et d’un temps donnés. Aussi n’a-t-il pu voir dans la peine de mort qu’un supplice que sa raison condamnait.
Camus était prêt cependant à admettre que l’imagination influençait son jugement. Mais en vérité il n’a rien trouvé qui n’ait renforcé sa conviction ou qui ait modifié ses raisonnements. Partageant la conviction de Koestler, il frappe du poing sur la table en assurant que la peine de morte souille notre société et ses partisans ne peuvent la justifier en raison. Ces vérités étaient dites en 1957 par un intellectuel engagé sur plusieurs fronts pour la défense de la dignité humaine, depuis bien des changements sont survenus. Malheureusement, sont notées ici et là de tenaces résistances et de rapides volte-faces sur la question toujours controversées de la peine de mort.
Il en était contre. Farouchement opposé à la peine capitale. Effectivement ce n’était pas qu’une image quand on se réfère à l’étymologie latine : caput, is : tête. Le couperet s’abattait et la tête du pauvre homme, placée sur le billot (une pièce de bois), tombait. C’était horrifiant.
J’ai toujours cru que Camus envisageait de donner une suite à « L’Étranger » pour fustiger la peine de mort, dénoncer une pratique barbare et inhumaine. Effectivement, l’exécution capitale, c’est rendre coup pour coup, œil pour œil, dent pour dent. Le condamné est déjà assez puni par la perpétuité. Comme Camus était l’un des écrivains que se penchaient sur les problèmes que se posent à notre conscience, il n’a pas paru surprenant qu’il fît de l’abolition de la peine capitale son cheval de bataille. Il n’a pas donné suite à « L’Étranger » mais il se rattrapa par un retentissant discours sous le titre : « Réflexions sur la guillotine » que l’anthologiste Pierre de Boisdeffre compare à un réquisitoire.
Dans ce vibrant plaidoyer contre la peine de mort, affichant en cela sa vision, Albert Camus évoqua un douloureux souvenir d’enfance : son père qu’il n’a pas connu était très remonté contre un criminel qui avait été condamné à la potence. Le jour de l’exécution, le père de camus partit au petit matin de la maison avec enthousiasme pour assister à l’événement, disons pire : au spectacle. Il en revint bouleversé, au point de tomber malade. Il vomit puis garda le lit. Qu’est-ce qui s’était passé pour provoquer une telle transformation ? Est-ce la vue des souffrances du condamné ? L’honneur de la scène révulsa le voyeur.
Il n’est pas sans importance de donner à Camus lui-même, avocat de cette grande cause, la parole : « Peu avant la guerre de 1914, un assassin dont le crime était particulièrement révoltant (il avait massacré une famille de fermiers avec leurs enfants), fut condamné à mort en Algérie. Il s’agissait d’un ouvrier agricole qui avait tué dans une sorte de délire du sang, mais avait aggravé son cas en volant ses victimes. L’affaire eut un grand retentissement. On estima généralement que la décapitation était une peine trop douce pour un pareil monstre. »
Le meurtre des enfants, en particulier, avait indigné le père de Camus. Il voulut assister une exécution, pour la première fois de sa vie. « Il se leva dans la nuit pour se rendre sur lieux du supplice, à l’autre bout de la ville, au milieu d’un grand concours de peuple. »
Il ne pipa mot, à son retour, de la scène. « Ma mère raconte seulement qu’il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s’étendit un moment sur le lit et se mit tout d’un coup à vomir. » Que venait-il de découvrir ?
Réponse de Camus : « (…) la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu’à ce corps pantelant qu’on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou ? »
Le pourfendeur de la peine capitale se livre à une déduction : « Il faut croire que cet acte rituel est bien horrible pour arriver à vaincre l’indignation d’un homme simple et droit pour qu’un châtiment qu’il estimait cent fois mérité n’ai eu finalement d’autre effet que de lui retourner le cœur. » Sa conclusion est que « quand la suprême justice donne seulement à vomir à l’honnête homme qu’elle est censée protéger il paraît difficile de soutenir qu’elle est destinée, comme ce devrait être sa fonction, à apporter plus de paix et d’ordre dans la cité. Il éclate au contraire qu’elle n’est pas moins révoltante que le crime et que ce nouveau meurtre, loin de réparer l’offense faite au corps social, ajoute une nouvelle souillure à la première ». Camus lâche le mot : l’exécution du coupable ajoute une nouvelle souillure à celle de son crime.
Le critique Pierre Boisdeffre signale que dans « La Peste », Camus avait relaté la saisissante scène d’une exécution capitale par fusillade qui avait obsédée le jeune Tarou. Boisdeffre trouve que dans ses « Réflexions sur la guillotine » Camus, élargissant un souvenir personnel, devait s’efforcer de justifier en raison cette horreur de la peine de mort, ce qui signifie qu’il n’y a rien de rationnel dans le second meurtre. Tout est émotion, passion et exaltation.
Il faut dire que le plaidoyer de Camus est extrait de « Réflexions sur la peine capitale » d’Arthur Koestler et Albert Camus. L’impossible justification de la peine de mort est la thèse que soutient Albert Camus. Il ne croit pas que l’homme soit, par nature, un animal de société. Il nuance son affirmation en avouant qu’il pense le contraire. « Mais je crois, ce que est très différent, qu’il ne peut vivre désormais en dehors de la société dont les lois sont nécessaires à la survie physique les responsabilités doivent être établies selon une échelle raisonnable et efficace par la société elle-même. » Il nuance une nouvelle fois en disant que la loi trouve sa dernière justification dans le bien qu’elle fait ou ne fait pas à la société d’un lieu et d’un temps donnés. Aussi n’a-t-il pu voir dans la peine de mort qu’un supplice que sa raison condamnait.
Camus était prêt cependant à admettre que l’imagination influençait son jugement. Mais en vérité il n’a rien trouvé qui n’ait renforcé sa conviction ou qui ait modifié ses raisonnements. Partageant la conviction de Koestler, il frappe du poing sur la table en assurant que la peine de morte souille notre société et ses partisans ne peuvent la justifier en raison. Ces vérités étaient dites en 1957 par un intellectuel engagé sur plusieurs fronts pour la défense de la dignité humaine, depuis bien des changements sont survenus. Malheureusement, sont notées ici et là de tenaces résistances et de rapides volte-faces sur la question toujours controversées de la peine de mort.
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